Charade - On joue à domicile

Nicolas Hermet - 2022-10-12

Charade, cela fait 36 ans que je te connais. Tu auras été mes premiers tours de roues, dans la voiture de mon grand-père sur l’ancienne partie du tracé. Ma grand-mère hurlant dans la bagnole à chaque vibreur quand j’avais 5 ans alors que je riais aux éclats. Mon père me racontant comment la descente de Gravenoire lui foutait les jetons en formule Renault en son temps, mais combien ce circuit était magnifique.

Ce circuit, cela fait 36 ans que j’en regarde une partie depuis le balcon de l’appartement de mes grand-parents.


Charade, ce circuit où tout à commencé.

La colline de Gravenoire
Il y a 4 ans maintenant. Mon père vient d’avoir exactement 60 ans, l’année des 60 ans du circuit. Quoi de plus normal qu’une après-midi Père/Fils à la Classic Racing School ? Quelques tours de roues timides. Puis un vrai lâcher prise. Enfin, du plaisir et des étoiles plein les yeux. C’est ça mon souvenir.

Je n’avais pu m’empêcher de doubler tout le monde, autorisé à le faire par Pierre Sancinena qui “[avait] confiance en [mes] capacités”. J’avais été très flatté par sa remarque, même si je savais très bien que je n’étais pas non plus le meilleur pilote de la terre.

La suite vous la connaissez maintenant. Une newsletter, l’organisation du volant Michel Vaillant x Yema avec la Vaillante Academie. Puis le graal. La saison complète.


Trouver ses marques


Dans la dotation du volant, en plus de la saison complète, il y a deux journées de roulage prévues pour me coacher. Au début de l’été l’idée émerge : pourquoi ne pas profiter d’une journée école au sein de la Classic Racing School ? Je roule sur Charade et profiterai donc de m’entraîner directement sur un des circuits du calendrier.

C’est ce que nous avons fait. Une semaine avant le meeting.

Pourtant, trouver ses marques n’est pas chose facile. Je dois rouler dans les voitures école.

Elles sont différentes car, fatalement, quasi neuves comparées aux ancêtres qui arpentent l’Historic Tour 2022.

Différent également, car chaussées de pneus écoles. Des gommes beaucoup plus dures qui travaillent fatalement moins bien et ont donc moins d’adhérence.

Mais tout de même, environ une trentaine de tours bouclés sur un circuit aussi difficile, c’est toujours ça de pris.


La Lotus 69, l’arme de combat ultime.


Grâce aux efforts grandioses de Théo, la Lotus est fin prête pour l’épreuve. C’est une chance inouïe car ses voies larges permettent une bien meilleure adhérence en courbe. Et avec, de précieux dixièmes de secondes à chaque tour.
Lotus 69
Seulement le revers de la médaille c’est qu’il va falloir roder le moteur. Aussi sacrifions nous les 3 séances d’essais pour être sûr d’avoir un moteur en bonne santé. J’aurais donc moins de roulages que prévu à pleine charge. Car croyez moi, même si j'enchaînais les tours de circuit, c’est une chose de boucler un tour à Charade. C’en est une autre que de le faire dans un bon rythme.


Un Monaco vert, 


Franchement je n’ai pas de meilleurs descriptifs à vous donner. On est en pleine nature, mais il y a des murs de chaque côté de la piste.
Le tracé de charade présenté à la Classic Racing School

Le briefing pilote donne le ton : “On ne vous brief pas sur les limites de la piste. Les murs le feront pour nous”... gloups… ambiance.

9% de dénivelé moyen. Il n’y a pas un seul endroit à plat de tout le tracé. Une grande partie des virages sont “relevés” ou en “dévers”.

Tout ceci cumulé en fait un circuit très technique.

Et ce n’est généralement pas un problème pour moi. Le Val-de-Vienne aurait pu en être la preuve sans ces ennuis mécaniques.

Mais là… Les murs changent tout. Sur 3 portions de circuits, deux coachs de la classic, et un autre pilote de l’écurie insistent : “ça passe à fond !”... oui… merci mais non merci. Je n’ai pas assez de roulages pour flirter avec l’auto en dérive à 20cm d’un mur en béton, le tout à 150km/h.

Malgré tout, je me qualifierai 3ème, sur ce qui aura été le premier vrai roulage de la journée de vendredi. A 2/10ème seulement de Michel Dupont. A 4 secondes pleines du stratosphérique Eric Lecluse.
Eric à droite dans sa lotus 69 et moi même dans la mienne.

Ce n’est pas faute d’être partie en qualif à ses côtés. Il a été tout bonnement impossible à suivre. Même pendant le premier tour, normalement destiné à chauffer pneus et freins.


Pluie ou pas ?


L’incertitude était de mise pour la première course. La météo annonçait de la pluie depuis déjà une semaine. La veille, bonne surprise, finalement il faisait beau temps. Mais quid d’aujourd’hui ?


J’avoue que l’idée de rouler ici sous une pluie battante ne me réjouit pas. C’est quelque chose que j’apprécie en karting mais je sais, pour avoir souvent roulé contre des teams Belges, que c’est assez difficile de les battre à la régulière dans ce genre de conditions.

Moi même, je ne connais absolument pas mes capacités sous la pluie avec une Formule Ford. Et clairement je n’ai pas envie de savoir que je suis mauvais avec ces murs omniprésents.

Pourtant, lors du départ de cette course, cela fait déjà deux heures qu’il ne pleut plus… La piste est sèche, il fait beau. Mais un sombre nuage noir se montre à l’horizon.

Je me dis que tout va bien se passer. J’ai une chance si les conditions sont changeantes. Et à la fois c’est très risqué également.


Mise en pré-grille.


Dans cet instant où on place la voiture en pré-grille, attendant qu’un autre plateau termine sa course pour nous permettre d’utiliser la piste, je vois Eric Lecluse, plusieurs places devant moi, agiter les bras et faire signe. Des gens viennent et regardent l’arrière train de sa voiture. A-t-il un problème ? Aucun moyen de le savoir à ce stade.

Les voitures s’élancent sur la piste, c’est le tour de chauffe.

Comme Malivaï me l’a expliqué lors du Val-de-Vienne, je fais chauffer mes pneus. Il faut absolument faire un bon départ.

Dernier virage avant de me mettre sur la grille de départ, je me mets en première et vérifie que la vitesse est bien enclenchée.

La grille est en descente, il faut donc garder son pied droit sur le frein, tout en étant au point de patinage de l’embrayage et en accélérant pour monter en régime.

Les feux s’allument.

Puis s’éteignent.
Départ de la course 1


La loi de Murphy vous connaissez ?



Lors des essais j’ai découvert que l’on pouvait monter les vitesses sans utiliser l’embrayage. 

Pratique.

Cela permet d’économiser quelques centièmes voir dixièmes de seconde par tour dans cette opération répétitive. Mieux, en sortie de virage, cela permet de garder son pied gauche sur le repose pied, et ainsi de stabiliser son corps lorsqu’on réaccélère en sorties de virages. On obtient alors une meilleure finesse au volant.

Lors du départ, c’est ce que j'ai choisi de faire… 

Naturellement, même si je me suis entraîné à chaque séance la veille, c’est au départ que la boîte a décidé de me refuser l’accès à la seconde, m’obligeant à rester presque 20 mètres en roue libre avant de me résigner à utiliser l’embrayage pour ce rapport.



Je perds donc 5 places avant le premier virage.

Génial, ça commence bien.

J’enchaîne cependant quelques tours directement identiques à mes temps de qualifications, et n’ai donc pas trop de mal à récupérer ma place.

Puis petit à petit, je vois Michel Dupont se rapprocher, jusqu’à l’atteindre.

Je sais alors que je suis 3ème. Michel second, et probablement Eric premier, quelque part très loin devant.

Éric, je le sais, n’est absolument pas atteignable vu ses temps de la veille. Inutile d’aller le chercher donc.

Pourtant, étant vraiment plus rapide je ne peux m’empêcher de doubler Michel plutôt que d’attendre patiemment derrière.

Il me repasse quasi instantanément afin de récupérer sa place.

Je décide alors de me lancer dans un combat psychologique comme nous en avons tous les deux le secret. L’idée cette fois est de le fatiguer. 

Je n’aurais en effet pas assez de vitesse pour le doubler définitivement, et si je reste derrière, je risque de m’inscrire dans un faux rythme et de ne pas pouvoir le dépasser en fin de course.

Chaque tour je le double, chaque tour je le laisse me reprendre à l’endroit où il le choisit. Nous sommes très régulièrement roues contre roues mais je constate que je suis beaucoup plus rapide que lui dans certains virages et prépare alors minutieusement mon attaque pour le tour final en réfléchissant à la stratégie. Où vais-je le doubler, comment vais-je défendre etc…

Soudain au milieu de la ligne droite, alors que je m’apprête à le doubler à nouveau, l’accélération s’arrête nette. Plus rien en 3ème… Que se passe-t-il ?
Rien en seconde non plus rien en quatrième… Merde : plus de moteur du tout !!

Je me mets au point mort, dégoûté, frustré et finis la ligne droite en roue libre. Je commence déjà à me demander combien les réparations vont me coûter. Je regarde sur le côté et cherche une échappatoire près des commissaires de piste. Il n’en existe aucun dans la ligne droite, je n’en vois pas non plus dans le virage du petit pont.

Soudain, en tournant le volant je constate une chose : le switche ignition qui permet l’allumage du moteur est sur “OFF”... Je comprends alors : j’ai malencontreusement coupé le moteur en repositionnant ma main du levier de vitesse vers le volant. Je rallume le moteur. Tout semble fonctionner correctement.

Je hurle dans le casque tandis que je remonte la pente qui mène vers Marlboro, me calme dans la courbe de Thèdes tandis qu’une pluie fine commence à s'abattre sur le circuit.

Dans la ligne droite des stands, la voiture devient instable. Je me raconte que la pluie à légèrement forci à en juger par les gouttes sur ma visière. Je décide alors de continuer plus doucement. Avec un peu de chance l’un de mes concurrents partira à la faute en tête à queue et je pourrais peut-être remonter sur le podium.

Au tour suivant, la voiture part en dérive quelque soit le virage. Même en ligne droite, la voiture n’arrive pas à garder le cap.

Bizarre.

Je franchis la ligne droite des stands à nouveau et passe quasiment en dérive des 4 roues dans le premier virage. Pourtant, les gouttes de pluie n’ont pas l’air de s’accumuler sur la visière.

Deuxième virage : le voyant de pression d’huile s’allume pendant un court instant. Interdiction de refaire la même erreur qu’à Dijon. Je coupe le moteur et cherche en roue libre un dégagement commissaire de piste et vais y faire mourir lentement la voiture à côté.

Le voyant de pression d'huile situé en haut à droite du tableau de bord.


C’est ça l’historique.


Garé à côté du poste de commissaire, je fulmine de rage. Je reste dans la voiture, visière fermée en attendant la fin de la course. Sermonné par le commissaire à l’issue qui me rappelle qu’il ne faut pas rester dans la voiture. On me ramène tracté par un SUV, faisant ainsi un dernier tour de la piste.

De retour dans le box, on découvrira avec Théo : 
  • Que le moteur va bien, c’est probablement le capteur de pression qui est défectueux et donc provoque l’allumage du fameux voyant rouge.
  • Que ce switche d’allumage moteur que l’on attrape par mégarde, est chose courante. Tous les pilotes de l’écurie me disant “Ah toi aussi ça t'est arrivé ? Ouais il est vraiment mal placé ce switche…”
  • Que, Eric Lecluse n’ayant pas pris le départ, c’était pour la première place que je me battais…
  • Que sans tous ces problèmes, j’aurais probablement fini dans le mur avec une roue en moins de toutes façons.

En effet, le tirant de la roue arrière gauche fixé au châssis était en train de littéralement déchirer le tube d’acier. Les conséquences d’une telle rupture auraient pu être vraiment dramatiques. Dangereuse même à pleine charge.

Un tube de châssis, arraché par le tirant de la roue arrière gauche.


En fait, tous ces problèmes m’ont peut-être permis de finalement ramener la voiture et moi-même sans trop de dégâts. 

Le lot de consolation c’est aussi de voir mon concurrent Michel Dupont signé sa toute première victoire dans l’Historic Tour après plusieurs années de présence. On aura fait une belle bataille sur plusieurs tours.


En bref, une course à oublier, mais un week-end inoubliable malgré tout. Rouler sur ce circuit de charade reste incroyable. Je regrette juste que la caméra n’ait pas fonctionné pour vous partager ça.