Dijon, ça passe... mais ça casse

Nicolas Hermet - 2022-05-12


Par où commencer ? Il y a tellement de choses à dire sur ce week-end, tellement à dire sur ce circuit de Dijon Prenois.


Le duel René Arnoux vs Gilles Villeneuve en 1979 a eu lieu sur ce même circuit. Cette bataille pour la deuxième place à fait rage dans les derniers tours du Grand Prix de France à
l’époque.



Cette bataille, 43 ans après, résonne encore dans toute l’Histoire de la Formule 1. Ces deux pilotes de talent n’auront jamais gagné le championnat. Pourtant, personne ne peut évoquer Dijon sans penser à cette fin de course mythique.


Je ne cache pas avoir la larme à l’œil en repensant à ce que je m’apprête à vous raconter. Car au moment où j’écris ces lignes, je réalise ce que je viens de vivre.


UN VENDREDI MATIN DIFFICILE


J’ai passé de nombreuses heures à regarder les vidéos embarquées d’Eric Lecluse (leader de la catégorie) pour me préparer mentalement. Préparer mes trajectoires, apprendre par cœur chaque virage, observer les manœuvres possibles pour doubler en course.



Nous sommes vendredi matin. La Lotus 69 est là, préparée impeccablement par la Classic Racing School. Il a plu toute la veille. La piste va être froide, glissante. Les virages sont rapides et se négocient généralement à fond. Mais pas ce matin, il faudra savoir être patient.


Par chance, je sors sur la piste juste derrière Eric. De quoi apprendre calmement. Je le suis, lui colle aux basques mais laisse suffisamment de distance de sécurité. J’apprends. Il va vraiment vite, mais je tiens bon.


Et puis les commissaires m’interrompent dans mon mimétisme en me présentant le drapeau noir et orange : problème mécanique, j’ai ordre de rentrer au stands immédiatement.

Je laissais de l’huile derrière moi.


ÇA SE PRÉSENTE COMME À MAGNY-COURS


Cette fuite, elle a coûté la journée. Démonter et remonter ma boîte de vitesses et mon volant moteur pour remplacer le joint spi de sortie de vilebrequin. Ce n’était pas prévu. C’est un sacré travail pour les mécaniciens alors que nous sommes 6 à rouler dans l’équipe.


Comme à Magny-Cours il y a un mois, je n’aurais pas roulé ou très peu avant de partir en qualifications.
Photo : Julien Chaffard

Pour ces qualifications, je manque de chance. Beaucoup de trafic qui m’empêche de faire un bon tour, et mes tours clairs sont brouillons. Je me précipite, sur-conduit, fais des erreurs. Pire, je ne peux profiter de l’aspiration d’autres pilotes devant moi.


Clairement je ne suis pas satisfait en sortant de la voiture. Pourtant, je ne peux que saluer le fait d’avoir pu partir déjà. Théo, Antoine, Thomas : encore un immense merci pour cette intervention.


Résultat : qualifié à la 5ème place de la catégorie derrière Fédérico Sanchez-Bedoya, et devant Nicolas Leblond, mes deux coéquipiers.


Attendez une minute….
… c’est exactement la même configuration qu’à Magny-Cours!


Le samedi, au moment de me mettre en grille pour la première course, je salue Théo en lui faisant la remarque. Je rigole en disant ça. Mais dans le fond, c’est bien mon état d’esprit.


Gagner la course.


UNE PRÉPARATION DIFFICILE


Parmi l’équipe, certains prennent également part à la course du Trophée Kent-Zetec. Quelques vingtaines de minutes après leur course je vais devoir monter dans ma voiture
pour ma course du Challenge Historique. Eux devront remonter dans la leur. Je me prépare donc, comme à mon habitude, en faisant une méditation. Je m’assois par
terre, sur le bitume des stands. Je m’isole de l’agitation, et cherche le calme, l’apaisement. Faire descendre la pression. Faire descendre l’angoisse. Affûter ses sens. Drapeau rouge.
Toutes les voitures rentrent au stands. Nos coéquipiers tardent à rentrer. En voilà un. Où est l’autre ?

Plusieurs longues minutes s’écoulent avant qu’on apprenne qu’il ait été prise en charge dans la voiture médicale. Bien sûr nous voulons savoir : est-ce qu’il va bien ? On en oublie qu’ici aussi, le secret médical s’impose.


Sa voiture nous revient aux box endommagée. Un accident à haute vitesse directement dans le rail. La vidéo embarquée en témoigne.


En raison des évènements, ma course est bien évidemment reportée au début d’après-midi. Mais lui, comment va-t-il ?
Je ne sais toujours pas. Il faudrait que je mange un morceau pour éviter d’avoir trop faim. Il faudrait que je me concentre. Penser à autre chose. C’est difficile.


Finalement notre ami revient. A pieds. Tel un super héros. Il n’a rien, hormis quelques douleurs au dos et à la cheville et probablement quelques gros bleus. Tout va bien.
Il faut maintenant se concentrer. A nouveau.


UN DÉPART SOUS PRESSION



Les réparations effectuées le vendredi amènent une difficulté supplémentaire : l’embrayage. Au moment où l’embrayage patine, la pédale devient extrêmement dure, presque intenable.  Pourtant au moment de se placer sur la grille c’est un élément crucial puisque c’est ce point de patinage qui est critique pour un bon départ. C’est sur ce point de la pédale qu’il faut être, en plus du bon régime, pour faire un départ canon comme me l’a enseigné Stéphane, instructeur au Volant Michel Vaillant x YEMA.

 
J’essaye de tenir ce point, le départ tarde à être donné. Que se passe-t-il ? J’ai du mal à la tenir. Si je lâche c’est le faux départ. Si j’appuie pour soulager la jambe je risque de ne pas arriver à retrouver le point de patinage à temps pour le départ. Le soulagement, les feux s’allument….
… puis s’éteignent.


14 TOURS D’ANTHOLOGIE


Comme à Magny-Cours, je saute au départ comme un boulet de canon. Comme à Magny-Cours, j’arrive juste à l’arrière d’Eric. J’aimerais continuer, mais l’épiphore va devoir s’arrêter là. Cette course est radicalement différente. C’est avec Michel Dupont que je vais devoir me bagarrer. Et ce pendant 14 tours d’affilée. Sans rien lâcher.

Je n’ai qu’une vingtaine de tours d’expériences sur ce circuit, contre quelques années et centaines de tours pour eux. Je ne peux donc pas prendre tous les risques immédiatement. Mais Michel me pousse dans mes derniers retranchements. A chaque tour, l’aspiration dans la ligne droite modifie le classement du podium. A chaque tour nous nous redoublons dans le cœur du tracé. Souvent même plusieurs fois. Michel n’est pas du genre à se laisser faire.

Pire, j’ai trouvé quelqu’un qui joue de la psychologie. Aucune de ses tentatives pour me doubler ne sera identique à la précédente. Aucune de mes tentatives de dépassement sur lui non plus.

Comment ne pas repenser alors à ce duel en 79 ? Sa voiture est rouge, roues dans roues avec la mienne à de multiples reprises. Nous ne nous touchons pas, mais il s’en faut de peu. Nous nous battons pour la deuxième place, loin derrière Eric. Les similitudes sont troublantes. Même mon père assiste, comme en 79, placé au même endroit, à la bagarre.

Deux tours restants, je suis passé devant. Je ne suis plus moi-même. Ma concentration est maximale. Ma trajectoire, mon freinage. Sa position : où est-il ? Est ce qu’il tente de me doubler ?  Non. Il attend, et ne semble rien tenter. Pourquoi?
La dernière ligne droite. C’est à l’aspiration qu’il me doublera, c’est indéfendable, c’est bien joué de sa part. Hors de question. Feindre l’erreur grossière, se laisser doubler et rester au plus près derrière. Jusqu’à la ligne d’arrivée. Ça marche. Il mord et repasse devant une dernière fois.
Dernier tour.


Surtout, je dois rester juste derrière. Je perds du terrain mais cela devrait aller. Non, il s’éloigne vraiment, comment ça se fait ? Continuer à pousser à fond, je peux encore le faire.
Dernier virage, faire une dernière fois attention à ne pas faire de sur-régime. Pas maintenant. Prendre la bonne trajectoire, une dernière fois. Tenter l’aspiration. Mon compte tour… 6000 tours/minutes… c’est 1000 de moins que d’habitude.

Que se passe-t-il ? Ah, l’aiguille revient. Non elle redescend. Ça sent les problèmes. Je passe la 4ème vitesse dans le doute pour baisser le régime et sécuriser la mécanique. Malheureusement, quelque chose explose littéralement derrière moi dans la voiture, et de la fumée sort immédiatement de l’habitacle. Ça sent le brûlé, mes pieds commencent à chauffer fort près du radiateur.

La ligne droite. C’est dangereux je dois m’arrêter vite, mais où ? Je me pousse sur le côté gauche. Je suis en roue libre. La vision du drapeau à damier. C’est vrai. C’était le dernier tour. J’ai assez de vitesse pour continuer en roues libres. Je peux finir la course – même sans moteur ! Oh non, je suis 3ème, mais ai-je assez de temps avant de me faire doubler ? Pourvu que je franchisse la ligne assez vite.


Je vois Régis Prévost dans le rétroviseur. il est loin. Mais il va vite. Il a un moteur lui. Aller encore un effort ! Ça sent vraiment le brûlé mais tant pis, au point où j’en suis il faut
que je termine.


NE PLUS SAVOIR OÙ SE METTRE


Avec un moteur explosé et encore fumant, attendant les voitures de sécurité, j’écoute le speaker surexcité face à l’événement. Puis, pendant que j’aide le commissaire a placer ma voiture sur sa remorque, j’assiste du coin de l’œil et depuis l’autre côté de la piste au podium de la course. Puis à la remise des trophées.


Ce sera la quatrième place pour moi. Le pied du podium.
A nouveau c’est en dépanneuse que je rentre au box. Penaud. Il va falloir expliquer aux mécaniciens comment j’ai fait pour ruiner leur travail. Car cette voiture, on me la prête gracieusement et eux passent des heures à me la préparer au mieux. Leur ramener un podium est une belle gratification pour leur travail. Mais leur ramener la voiture dans un bon état est prioritaire. Et à cette mission simple, j’ai échoué par simple ambition et manque de jugeote.


Et à la fois. Sous les yeux de mon père venu me voir pour l’occasion, je reproduis de manière presque fidèle avec Michel Dupont, le duel auquel il assistait 43 ans plutôt entre Arnoux et Villeneuve.


Alors oui, rentré au box, j’ai surtout beaucoup discuté avec l’équipe des conséquences, des solutions éventuelles, mais aussi malheureusement de tarifs et de choses terre-à-terre. Pas mal de mea culpa présenté aux mécaniciens, d’incompréhensions partagées aussi. Oui, je suis rentré franchement un peu grognon, et n’ai pas échangé beaucoup de mots toi depuis cette course.


Mais voilà, elle pour toi cette histoire papa.




NE PAS OUBLIER GRÂCE À QUI ON EST LÁ


Je n’en ai quasiment pas parlé tout du long. Trop de choses à dire et une histoire déjà bien
longue.


Mais ils sont aussi la raison pour laquelle je suis penaud. Car c’est grâce à eux que j’ai vécu ces moments incroyables. C’est à eux que je me dois de ramener une voiture en bon état. Un grand merci à nos partenaires donc sans qui rien n’aurait été possible.

Merci au Volant Michel Vaillant x YEMA, à la Vaillante Académie, aux circuits de Vendée, à l’horloger YEMA et également à l’équipementier RRS.


Mais je ne peux terminer sans remercier encore une fois la Classic Racing School et surtout les mécaniciens Théo, Antoine et Thomas, pour leur travail sur la voiture.


Merci les gars, je réalise mon rêve grâce à vous. Je vous présente encore mes excuses pour la voiture. Promis, la prochaine fois je m’arrête immédiatement si ce voyant rouge s’allume ne serait-ce qu’un dixième de seconde sur le tableau de bord.