Télétravail : Le Guide Complet — Chapitre IV-1

Nicolas Hermet - 2020-05-11
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L’organisation en équipe, tout ce qu’il faut faire, ou ne pas faire.


La série d’articles :



Je vous ai laissé il y a une bonne semaine avec pleins de conseils, pour vous, pour votre organisation personnelle, concernant le télétravail.
Vous avez maintenant une routine, savez séparer le boulot du perso, couper les notifications pour rester concentré. Je vous ai pas mal rabâché également plein de trucs sur l’honnêteté, la discipline et respect. Cette fois-ci on va voir comment on met tout ça à l’œuvre en tant qu’équipe.
Juste une mitte en pull-over


Oui. En tant qu’individu du genre humain, vous êtes déjà une sacrée équipe en soi. Je m’explique.

Vous êtes ni plus ni moins qu’un ramassis d’organes. Chaque organe à un objectif qui lui est propre. Le tout possède un manager : le cerveau. Organe lui aussi. Il y a une communication, une coordination entre eux. Ils servent ensemble des objectifs qui les dépassent clairement : regarder la dernière série Netflix, apprendre une nouvelle recette de cuisine, ou sauver des vies, pour peu qu’on fasse partie du monde hospitalier.

Or le Larousse dit qu’une équipe c’est :

Un ensemble de personnes travaillant à une même tâche

S’il n’y a aucune coordination, aucune communication entre les organes, si aucun d’entre eux ne prend la responsabilité de ses actes, où si l’un d’entre eux fait semblant de bosser : on voit bien que cela ne fonctionne pas. Et quand cela arrive, on n'est généralement pas très bien d’ailleurs.

Mais quand tout va bien : l’équipe accomplit des choses extraordinaires qui peuvent aller bien au-delà des compétences de chacun ! Pensez-vous que votre estomac aurait réussi à aller sur internet pour consulter cet article tout seul ? Non, mais ni vos yeux, ni vos mains, ni votre cerveau non plus s’ils avaient été seuls… Seule l’équipe y est parvenue.



Bien au-delà des compétences de chacun


Introspection


Exercice : Arrêtez de lire cet article 5 minutes, et réfléchissez à cette phrase : “l’équipe accomplit des choses extraordinaires qui vont bien au-delà des compétences de chacun de ses membres”. Comparez-la avec l’équipe à laquelle vous appartenez dans votre travail.


C’est bon ?


Bien. Je ne vous connais pas et je ne sais pas dans quelle équipe vous travaillez. Mais je suis prêt à parier, que les objectifs que vous arrivez à atteindre en tant qu’équipe ne sont pas si extraordinaires que ça. Je veux dire comparés à celui d’un corps humain. Je ne porte là aucun jugement car c’est une tâche excessivement difficile. Savoir constituer une bonne équipe et la faire fonctionner est d’ailleurs un métier que peu savent réellement faire. Et même ceux dont c’est le métier peuvent s’arracher les cheveux.



Cependant, il existe une personne qui a réussi à verbaliser le fonctionnement d’une équipe à mon sens. Cette personne c’est Patrick M. Lencioni à travers son livre The Five Dysfunction Of A Team : A Leadership Fable.

Pour lui, il y a 5 raisons principales, qui font qu’une équipe ne peut pas fonctionner :
  1. L’absence de confiance
  2. La peur du conflit
  3. L’absence d’engagement
  4. La fuite des responsabilités
  5. La négligence des résultats.

L’ordre est important car d’après l’auteur on ne peut résoudre le ‘3’ si le ‘2’ n’est pas résolu non plus… Mais un peu d’explications s’imposent pour ceux qui n’ont pas lu ce livre.



Les 5 dysfonctionnements d’une équipe :


Visualisez ces 5 éléments comme étant les étages d’une pyramide. Si vous arrivez à résoudre l’absence de confiance, alors vous pourrez résoudre la peur du conflit et ainsi de suite. Et il faut le faire pour que votre équipe fasse des merveilles.

Ensuite, sachez que si votre équipe arrive au 3ème niveau, c’est que vous êtes déjà exceptionnel ! Seules des équipes de choc parviennent généralement à résoudre les étapes 4 et 5. Dépasser l’étape 1 est déjà une franche réussite, et beaucoup d’équipes n’y parviennent jamais.

La confiance :
Seriez-vous prêt à vous confier à votre collègue ? Vous n’êtes pas obligé de le faire, mais si la réponse est non : c’est que vous avez un problème de confiance. Il ne s’agit pas de confiance technique, mais bien personnelle, privée.

Vous avez peur que cette information soit utilisée professionnellement contre vous. Et on parle ici de la simple boulette : “Merde j’ai complètement oublié d’envoyer ce rapport à Clarence !” ou de choses plus personnelles comme le décès d’un proche, de mauvaises aventures personnelles avec votre banquier, peu importe, mais qui pourraient affecter votre travail.

Sans cette confiance, impossible d’aller au conflit.

La peur du conflit :
On parle ici de divergence d’opinion ou de stratégie. Pas de combat de boue hein ?

Normalement si vous êtes motivés pour travailler dans cette entreprise, vous ne souhaitez qu’une chose, que l’équipe réussisse ! Et donc, lorsque Régis vous propose une solution en carton, vous montez au créneau et vous expliquez distinctement pourquoi vous y êtes opposé, et comment vous feriez autrement.

Cela fonctionne car tout le monde se fait confiance. Et donc tout le monde sait que vous n’êtes pas en train de faire chier Régis pour le plaisir, NON, vous êtes en train de donner le meilleur de votre intellect pour le bien commun !!! Donc aucun problème, Régis ne vous en voudra pas. Il a confiance. Il sait que ce n’est pas contre lui.

Inversons les rôles : saurez-vous ne pas le prendre personnellement lorsque Clarence dira que votre dernier rapport n’est vraiment pas au niveau ?

Exercice : Prenez 5 minutes pour réfléchir à cela. Souvenez-vous d’une situation ou quelqu’un en réunion a démonté votre idée pour essayer d’imposer la sienne. Était-ce pour vous démonter vous ? Ou votre idée ? Était-ce pour le bien du groupe ? Ou pour son bien personnel ? Était-ce contre vous ? Vraiment ? Comment avez-vous réagi ? Était-ce vraiment ça l’esprit d’équipe ?
En fonction de vos réponses : essayez de déterminer s’il y a un climat de confiance dans votre équipe. Si ce n’est pas le cas, alors croyez-moi, il n’y a rien de plus important à faire aujourd’hui que d’essayer de créer ce climat de confiance. Laissez tomber ce rapport, ce mail, ou cette tâche qui peut attendre.

Le conflit, en tant que débat passionné d’opinions divergentes, permet de faire ressortir la meilleure idée d’un groupe.

Sans ce conflit sain, impossible de se sentir engagé dans la solution choisie.

L’absence d’engagement :
Sans conflit, il n’y a aucune chance d’avoir un engagement pour la solution proposée par Régis. Pourquoi ? Parce que vous la trouvez stupide ! Oui certes. Mais s’il y a eu conflit, un conflit sain, chacun a pu exposer ses arguments. Donc chacun a été entendu. Vous aussi. Cette sensation d’avoir été entendu, d’avoir vu ses arguments être pesés avec la même attention que ceux de Régis (en toute confiance donc), fait que si la tête pensante de votre équipe décide que c’est la solution de Régis qu’on va appliquer : alors on y va !

L’engagement se créé par l’écoute, la confiance, le conflit, et est suivi par …

Une décision franche.

Il ne doit pas y avoir de demi-mesure. Si on prend la solution de quelqu’un mais que seule la moitié des gens s’y mettent vraiment, alors cela ne fonctionnera jamais. Vraiment… Jamais. Même si c’était la meilleure solution. Imaginez une mêlée au rugby avec seulement la moitié des gens de l’équipe qui pousse parce que l’autre moitié pense qu’il fallait botter en touche. Cela fonctionnerait-il ?

A l’inverse une solution toute moisie, mais pour laquelle tout le monde est engagé, aura beaucoup plus de chances de réussir ou de porter ses fruits.

Les deux derniers points (fuites des responsabilités et négligence des résultats) vont au-delà du contexte du télétravail. Je ne les aborderais donc pas. Mais s’ils vous intéressent n’hésitez pas à lire ce livre : il est excellent.



“Oui surtout que là, je ne vois pas le rapport avec le télétravail !”


Je sais, je m’en doute. Je suis obligé de m’arrêter un peu longuement sur ce point car il sera d’une importance capitale dans les prochains articles.

Mais vous vous souvenez quand je vous disais que le télétravail accentue considérablement ce qui ne va pas dans une organisation ? On y est là. Encore une fois si vous aviez des problèmes de confiance, d’absence de conflits ou de manque d’engagement avant, alors il y a de grandes chances que cela se traduise par un télétravail éprouvant.

En cas des symptômes suivants :
  • Une hiérarchie qui souhaite vous fliquer sur un service de visio ou de messagerie interne pour savoir si vous bossez ou pas (manque de confiance).
  • Un manque total de motivation pour la tâche qui a été assignée (manque d’engagement).
  • Vous répondez "oui oui", et participez à toutes les visios ou acceptez toutes les décisions qu’on vous “impose” (peur du conflit).

C’est que vous avez un problème d’équipe.

Mais maintenant : vous savez sur quoi il faut travailler en premier. Car croyez-moi, ces symptômes ne sont absolument pas dus au télétravail…


Mais alors comment faire en télétravail ?


La confiance


Confier à un collègue un élément lui permettant de prendre l’ascendant sur vous sans qu’il le fasse. C’est ça la confiance.

Un seul moyen pour générer cela : passez du temps avec chaque collègue. En télétravail, je recommande le téléphone qui est un bon moyen, mais prenez celui qui vous inspire. Passez juste un peu de temps à discuter de tout, de rien. Prenez le temps de vous connaître au-delà du cadre professionnel.

Attention : cela ne vous empêchera pas de rester professionnels : vous n’êtes toujours pas potes ! Ne forcez pas non plus les confidences, ni dans un sens ni dans l’autre. Si elles n’arrivent pas c’est que l’un ou l’autre manque de confiance. Mais en discutant, elle finira par s’installer. Ma démarche favorite est de jouer avec l’autre et de lui poser des questions sur son comportement dans le jeu. “ — Dis donc Régis, tu la prends pas à la légère cette partie de ping-pong (rire) !
— Oh ben non, moi j’ai l’esprit de compétition, si je joue c’est pour gagner !”

Je sais. En période de confinement, le ping-pong c’est difficile (faites une belote ou un tarot en ligne c’est pareil). Mais c’est un exemple tiré de mon expérience. Je sais donc désormais que lorsque Régis viendra essayer de me montrer qu’il est meilleur que moi, c’est juste parce qu’il est comme ça Régis… Il ne cherche pas à me rabaisser.

Et bien sûr : rien de tout cela n’est possible sans honnêteté. En effet, une fois cette confiance établie, pour l’entretenir il faut être honnête. Sinon vous perdrez la confiance de vos collègues. Quitte à mettre les pieds dans le plat : “Clarence, tu te souviens de la fois où je me suis posé contre ton idée à la réunion du… ? Je veux juste que tu saches que c’est parce que je n’avais pas la même opinion que toi, et que je veux juste le meilleur pour l’équipe. Donc il m’a semblé nécessaire de dire que j’étais contre. Mais en aucun cas je suis contre toi. J’espère que tu n’hésiteras pas à faire de même si les rôles étaient inversés.”

Voilà.

Cela peut suffire à créer ou entretenir un climat de confiance. Encore faut-il décrocher son téléphone et le faire pour de vrai.

A l’inverse, si vous avez rendu un rapport complètement merdique parce que vous n’étiez pas motivé, n’essayez pas de le cacher, de faire croire que ce n’est pas de votre faute, ou n’importe, vous détruiriez alors la confiance que les collègues portent en vous.


À la place : dites le que vous n’étiez pas motivé ! “Je suis désolé, mais sur ce rapport je n’ai aucune motivation, voici le max que j’arrive à en tirer”. Et vos collègues essaieront sûrement de comprendre pourquoi. Vous aussi j’espère. Mais dans le fond : c’est ça une équipe qui évolue dans le bon sens !

Exercice : essayez de vous souvenir de la dernière fois que vous avez rendu un travail médiocre par manque de motivation. Essayez de comprendre pourquoi vous n’étiez pas motivé. Je parie fort que c’est parce que vous n’adhériez pas à son élaboration. Parce que quelqu’un a pris la décision qu’il fallait l’écrire alors que vous aviez une opinion contraire. Est-ce que cette opinion a été écoutée ? Est-ce que vous l’aviez communiquée en amont ? Si la réponse est non : était-ce par peur du conflit ? Ou par manque de confiance ?

Bien sûr : ce travail n’est réalisable que si toute l’équipe s’accorde là-dessus. Transmettez cet article à vos collègues, ou lisez le livre de Patrick M. Lencioni ensemble et faites une visio pour en discuter entre collègues (seulement une centaine de pages ça se fait plutôt vite).



Le conflit


Ai-je besoin de vous expliquer comment on gère un conflit ? En tout cas il y a plein de littérature qui vous expliquera mieux que moi dans le cas contraire.

En télétravail : c’est rigoureusement la même chose.

Privilégiez toutefois la visio ou le téléphone pour ça, les e-mails ou l’écrit ne retranscrivent pas très bien la tonalité et sont donc à proscrire en cas de conflit.

Le must étant une conférence téléphonique en réalité. Le son est généralement de meilleure qualité, et se retrouver avec l’image de votre collègue complètement figée en visio alors qu’il essaye d’expliquer vertement à Régis que sa solution est beaucoup moins bien que celle de Clarence, fait perdre beaucoup à la crédibilité.

D’ailleurs, avez-vous remarqué que, depuis que vous faites des visios ou des conférences téléphoniques, on se coupe moins la parole ? C’est normal car le son et technologiquement “aplatit” par rapport à une présence en réelle. L’oreille ne peut plus distinguer plusieurs sons à la fois. Profitez de cet avantage pour gérer le conflit de manière encore plus saine, et servez-vous de l’honnêteté pour gérer le temps de parole de chacun.



La communication


Je n’aborde pas le point sur l’engagement. Je pense que vous avez compris que si les conflits sont gérés convenablement, l’engagement à la tâche arrive de lui-même.

Dans cet article on a vu pas mal de choses qui concernent le fonctionnement en équipe. On a vu également que ces aspects étaient encore plus importants en télétravail.

Et d’ailleurs, à ce stade vous avez sûrement remarqué qu’un dénominateur commun se dégage dans la gestion des deux premiers points : la communication.

En effet c’est la manière de communiquer qui fera que votre équipe surmontera les difficultés que j’aborde dans cet article.

Or si dans la vie normale, on peut utiliser le non verbal, une fois tout seul chez soi, cela ne sert plus à rien.

Donc il faut communiquer ses émotions, ses intentions encore plus qu’à l’accoutumé !!!

En télétravail : il faut communiquer plus !

C’est ce qu’on va aborder dans le prochain article : comment communique-t-on avec ses collègues à distance. Vous verrez alors pourquoi c’était si important que je vous fasse ce présent article sur le fonctionnement en équipe.

Mais d’abord, on a bien mérité une pause non ? D’ailleurs, j’espère que vous continuez d’en faire même en télétravail des pauses ! Prochain article, un truc sympa : la machine à café virtuelle !

Bref… À bientôt 😉